Wednesday, June 08, 2011

Article Mode et Modernité (par Christine Lancha) Extrait du Catalogue « Constantin Guys - Fleurs du mal » Musée de la Vie Romantique.2002,2003,Paris.

Mise en scène recherchée des apparences, lieu de la frivolité et de toutes les fantaisies, la mode exerce durant tout le XIXe siècle un pouvoir de fascination, en revalorisant l’image d’une femme au rôle social insignifiant qui trouve en elle le moyen de s’affirmer. Masque compensatoire qui lui délègue une fonction de faire valoir en faisant de son corps une réalité à la fois parée et pudique, la mode est l’apanage de la vie mondaine qui en fait l’emblème des attributs arbitraires de démarcation sociale. Mais elle incarne aussi l’un des aspects les plus visibles de la modernité, en raison de son caractère à la fois impérieux et provisoire qui engendre un renouvellement ininterrompu de ses formes. Dès les années 1850, elle bénéficie des innovations techniques du progrès qui va influer d’une manière inattendue sur son développement.
Avec Baudelaire, la notion de mode prend une ampleur et une acception symbolique qu’elle n’avait pas dans Le Traité de la vie élégante de Balzac. Dans le dernier chapitre du Salon de 1846, c’est dans le contexte de la mode que Baudelaire formule pour la première fois le prélude à ce qu’il définira dans Le Peintre de la vie moderne comme le principe même de la modernité : la réunion de l’éternel et du transitoire. Bien qu’elle ne fasse pas l’objet d’une véritable étude, la mode demeure le pivot du discours esthétique de Baudelaire dans son essai sur Guys, ou il met en relief la complexité de son phénomène en même temps que son caractère insaisissable. Pour Baudelaire, la mode est une autre forme de l’artifice , comme lui passager et imprévisible, un effort toujours renouvelé vers un dépassement du naturel pour atteindre le Beau. Dans Le peintre de la vie moderne, il affirme également la séduction qu’exerce sur lui défilé de femmes factices et sensuelles vues par Guys, ces corps mouvants saisis à travers la palpitation d’un geste, l’élégance d’un mouvement ou la langueur d’une pose, lui qui a ancré à sa poésie l’image d’une féminité troublante avec son cortège de mystère , de grâce ou d’impudeur.
L’aura qui se crée autour du vêtement féminin au XIXe siècle n’a pas échappé au regard pénétrant de Guys. S’il a vu dans la femme une source de création inépuisable au point qu’il fit d’elle , à partir des années 1860, le centre de son immense production graphique- abandonnant alors son activité de reporter-, il l’a aussi envisagée comme une figure réelle et symbolique de la modernité, par laquelle la mode, nouveau système de valeurs du siècle, trouve sa consécration. La restitution minutieuse de la parade vestimentaire féminine atteste sa sensibilité face à ce nouveau procédé de valorisation de la femme par l’apparence, donnant d’elle une image fascinante, qui contraste avec la mise ascétique et figée de l’homme, voué à l’habit noir, rigide et austère.
Si rien n’échappe à l’œil de Guys des signes distinctifs des femmes de l’époque, son œuvre ne saurait être réduite à un simple témoignage des modes du temps. Ses nombreux portraits affirment une poétique de l’apparence, par l’intermédiaire d’une représentation continue du langage du corps et de cette parure d’étoffes, en ondulations souples, dont l’image de la femme du XIXe siècle semble indissociable. Et ces silhouettes entrevues dans la fugacité d’un instant, recomposées sur la feuille avec une rapidité d’exécution qui leur confère leur dynamique, sont autant de prétextes à des exercices de style, des études cinétiques, ou le trait puissant et alerte modèle les corps sans jamais les contraindre, ou l’agilité de l’arabesque entraîne la figure dans un mouvement prompt, dont n’est retenu que l’essentiel.

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